lundi 4 juillet 2016

SOMMET DE POESIE


Carnet de montagne
de
Claire Desthomas Demange
Poésie
Éditions Musimot 2016
Je livre ici quelques sensations que ce Carnet peut suggérer, tant par le témoignage que par la forme et le style ; ce premier parcours devant être pour le lecteur une invitation à trouver son propre chemin.

Cette « suite » (il me semble naturel d’employer ce terme musical, par la succession des moments, pour ne pas dire des mouvements) nous place au coeur de la montagne, la « moyenne » comme la « haute » ; celle de la méditation ou de la conversation (on peut penser à ces physiciens qui vers 1920, comme Bohr, Pauli…, échangeaient et discutaient leurs idées ou à Michel Malherbe, D’un pas de philosophe paru en 2012 dont les personnages s’entretiennent de la réalité, de la vérité et de bien d’autres sujets) ; celle de la concentration et de l’effort (ici on pense plutôt à Frizon-Roche, L. Terray…).

Citons tout de suite le mot final, déchirant : Reviens – parce que tout ce texte nous aura mené vers l’extase verticale. Il n’y a pas de doute : on est dans une histoire d’amour.

 

Au premier jour je l’étreignis déjà
Je t’aime de m’accorder ce fragile filet de bonheur...

 

Cette dimension exprime le besoin impérieux de s’échapper de l’ennui et de la contingence du sol.

 

Largue les liens du sol

 

Elle est associée particulièrement à l’une des activités de la montagne, l’escalade.


Je serais au cœur
Du temps et de l’espace
Sans plus de rivage
Au sommet de l’aiguille là-haut

 

Ainsi ce texte est (au moins en partie) un voyage dans le temps et les vallées pour en découvrir les falaises à escalader. La succession des moments – attente et préparation, progression avec la recherche des appuis et les pas, sentiment d’épanouissement à la fin de la voie – est très juste, et rappelle une expérience et des sensations partagées (parfois même en les faisant voir sous un autre jour) par les « grimpeurs » comme elle peut la faire connaître aux non-spécialistes. 

 

Trouver le départ / La trace écrite dans la pierre ou encore Pour s’accrocher à sa destinée 

 

 Ici il faut parler du temps, c’est-à-dire l’état du ciel (et de divers autres éléments et paramètres) ; dont découle une relation au temps chronologique. Combien de fois est-on dans l’attente du jour à venir, mi-sereine, mi-angoissée – comme à une autre échelle te temps il y a l’attente du printemps, du soleil.

 

    Si le soleil ne revenait pas

et

Guetteurs
Des premiers cris
Et du jeune troupeau

 

L’incertitude (et donc l’attente) : l’impuissance, alors, demain ? ou la confiance dans la météo de la montagne (je pense à une montée en refuge sous la pluie avec la promesse d’un ciel qui deviendra pur au milieu de la nuit – c’est-à-dire à l’heure des préparatifs et du départ).


La pratique de la montagne conduit à sentir une oscillation entre deux façons de la percevoir : un élément de la nature vue selon les lois de la physique, de la géologie… (donc où on se meut rationnellement, ou techniquement) ou par une vision anthropomorphique (on lui parle, on lui prête des sentiments vis-à-vis de nous, « alpinistes ») – comment alors ne pas comprendre le lien qu’elle offre avec la littérature, si ce n’est avec la poésie …


Dans un premier temps, en feuilletant rapidement les pages, un mot saisit par son intensité : Passion, et puisque mon regard est subjectif il entraîne immédiatement l’esprit vers la Passion selon Saint-Matthieu – le lecteur, chrétien ou non, pense souffrance [dans le contexte de la montagne, où il ne s’agit ni de sacrifice ni de masochisme, on peut préférer glisser vers le mot effort] puis accomplissement (pas nécessairement de la volonté divine mais certainement de soi-même). Et puisqu’on est entré dans le monde de la musique deux exemples de la façon dont elle a exprimé la montagne : l’orage dans la musique à programme ; La Symphonie Alpestre de R. Strauss, et en plus impressionniste Les Chants d’Auvergne de Canteloube (et l’Auvergne n’est pas si loin des Alpes – ah oui on ne l’a pas dit : les vallées dont on a parlé sont – soigneusement choisies ! - des vallées savoyardes sauvages).

 

Enfin un mot – pas plus, par incompétence dans le champ de la critique – pour le style : à la fois douceur et rugosité :

 

Ma fragile attente
Ma soif de départ
Avec la peur
Qui me coule
Dans les veines

 

Ces impressions et réflexions, subjectives, n’épuisent pas la source que ce texte poétique peut constituer ; il est donc temps de laisser la place au plaisir et au rêve pour chaque lecteur. Que ce Carnet soit pour lui un beau voyage...


                                                                                                          Michel MEZZA

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